[[Fichier:William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - Elegy (1899).jpg|thumb|''Élégie'', par [[William Bouguereau]] ([[1899]]).]]
L’'''élégie''' (en [[grec ancien]] {{grec ancien|ἐλεγεία}} / {{Lang|grc-Latn|''elegeía''}}, signifiant « chant detriste mort ») fut une forme de poème dans l'[[Antiquité]], avant de devenir un genre poétique à partir de la [[Renaissance]]<ref>Voir aussi dans la [[Bible]] hébraïque: [[Amos]] 5, 2. Voir aussi dans la '''littérature rabbinique''', les [[Kinot]] (Lamentations). Ces pièces poétiques ont pour objet la destruction du Temple de [[Jérusalem]] par les Babyloniens puis par les Romains, les massacres qui ponctuèrent l’[[histoire juive]] (à la suite des [[Croisades]], de l’expulsion d’[[Espagne]], et plus récemment de la [[Shoa]]). Parmi leurs auteurs, citons [[Eléazar Hakalir]] (7e siècle), [[Salomon ibn Gabirol]] (1021-1056), [[Abraham Ibn Ezra]] (1092-1167), [[Juda Halévi]] (1080-1145)... </ref>.
Dans l’[[Antiquité]], était appelé « élégie » tout poème alternant [[distique élégiaque|hexamètres et pentamètres en distiques]] : ce sont les [[vers (poésie)|vers]] élégiaques.
De nos jours, l’élégie est considérée comme un genre au sein de la [[poésie lyrique]], en tant que poème de longueur et de forme variables caractérisé par un ton plaintif particulièrement adapté à l’évocation d’un [[mort]] ou à l’expression d’une [[souffrance]] [[amour]]euse due à un abandon ou à une absence.
== Perspective historique et morale ==
=== L’élégie grecque ===
Une [[étymologie]], très probablement fantaisiste, voit dans le mot ''élégie'' la racine ''leg-'', qui signifie « dire », et le [[phonème]] [e], qui signifiait « hélas ». Quelle qu’en soit son origine, le [[distique élégiaque]] se compose d’un [[hexamètre dactylique]] et d’un [[pentamètre]] plus court. Ce mot vient de la [[Grèce antique]], mais il veut dire, littéralement, « chant de deuil » ; c’était le chant qui accompagnait un type de [[sacrifice]], celui du [[bouc (animal)|bouc]]. Néanmoins, les spécialistes ne se sont pas encore mis d’accord quant à la véritable étymologie de ce terme et au rapport qu’il peut y avoir entre ce sacrifice de bouc et le genre littéraire que nous connaissons.
En [[Grèce antique]], l’élégie n’était pas un genre littéraire, mais une forme. Il n’y avait pas d’unité de thème, et le distique élégiaque n’était pas réservé à l’expression de la douleur ou du sentiment amoureux. Au contraire, l’élégie était utilisée pour traiter de thèmes très divers : la philosophie, la morale, la guerre, la politique. Les poètes [[Callinos]], [[Tyrtée]], [[Solon]] et Psapha, ont pratiqué l’élégie. Le point commun est l’impersonnalité, la subjectivité de l’auteur restant toujours en retrait, laissant la place au message. Il faut bien garder à l’esprit qu’à cette époque ce terme n’a pas son sens moderne.
Cependant, le poète [[Mimnerme]], vers la fin du {{VIIe siècle av. J.-C.}}, a recours au distique élégiaque pour exprimer des sentiments amoureux. Puis, au {{IIIe siècle av. J.-C.}}, l’élégie hellénistique entrelace fables [[Mythologie grecque|mythologiques]] et sentiments amoureux. Dans cette tradition amoureuse de l’élégie grecque, on trouve les poètes [[Callimaque de Cyrène]] et [[Philétas]].
Il publie un recueil de poèmes en partie de métrique élégiaque ; l’inspiration érotique très nettement présente donne une première orientation à l’amour élégiaque.
Seuls les poèmes 65 à 116 sont composés en [[distique élégiaque|distiques élégiaques]]. La thématique de la passion prend deux formes : la figure d’[[Ariane (mythologie)|Ariane]] abandonnée par [[Thésée]] (poème 64), et les amours de Catulle et de Lesbie. La dimension fictionnelle de cette évocation d’expériences personnelles est très importante, le poète jouant avec cette « confusion entre l’auteur et le narrateur ». Il s’agit d’un récit s’appuyant sur de nombreux lieux communs ou ''topoï'' (tel que la porte close qui fait obstacle à l’amant : le [[paraclausithyron]]), et non de la narration d’événements vécus. La question de la sincérité ne se pose pas au sens moderne. Cependant, on voit bien la naissance d’un ''je'' auteur et acteur du texte littéraire, et Catulle est le premier auteur latin à exposer publiquement son amour pour une femme.
Cette prise de position est provocatrice, et perçue comme blâmable par ses contemporains. En effet, la passion éprouvée pour une femme est dégradante, puisqu’elle fait de l’homme un esclave, ''servus'' et de la femme une ''domina'' — thème sur lequel Ovide reviendra. L’homme amoureux d’une femme est un personnage typique et ridicule des comédies de [[Plaute]]. Catulle insiste sur le désarroi amoureux, sur l’alternance de bonheur et de désespoir, sur la difficulté de la fidélité. L’amour est perçu comme une douleur, et au poème 76 il en vient à prier les dieux de l’en délivrer.
Catulle insiste sur le désarroi amoureux, sur l’alternance de bonheur et de désespoir, sur la difficulté de la fidélité. L’amour est perçu comme une douleur, et au poème 76 il en vient à prier les dieux de l’en délivrer.
Catulle reste très inspiré par les modèles grecs, qu’il traduit, adapte et imite — {{Incise|à une époque où le concept de plagiat n’existe pas, et où imiter un écrivain est lui rendre hommage|stop}}. Il assure la transition entre l’élégie hellénistique et l’élégie romaine.
Il assure la transition entre l’élégie hellénistique et l’élégie romaine.
==== [[Tibulle]] ====
{{Article détaillé|Élégies (Tibulle)}}
Tibulle est le premier auteur élégiaque duquel nous avons une œuvre importante. Né entre 54 et 48 {{av JC}} et mort en 19 {{av JC}}, il est originaire du [[Latium]] et a passé son enfance à la campagne. Il appartenait à une famille d’[[ordre équestre]] (classe sociale riche) maisbien sa famille, elle, étaitque désargentée. Orphelin de père très jeune, il est élevé par sa mère et sa sœur. Tibulle a reçu une éducation soignée en langue grecque. En 32 {{av JC}} il se place sous la protection d’un grand personnage : Valerius Messala Coruinus (mécène entouré d’un cercle de gens de lettres). Tibulle rencontre à Rome une femme mariée (Plania) qu’il chante dans son recueil élégiaque sous le nom de Délia. En 31 {{av JC}}, Tibulle doit, malgré ses réticences, accompagner Messala dans une campagne militaire en Orient. Mais son voyage est interrompu car il tombe malade.
==== [[Lygdamus]] ====
{{Article détaillé|Élégies (Properce)}}
Né à Assise en Ombrie vers 47 {{av JC}} et mort en 15 {{av JC}}, c'est un poète latin (sous le règne d'[[Auguste]]), auteur d'élégies amoureuses dédiées à Cynthia. Sa famille était d'un rang proche de l'ordre équestre, et fut ruinée en 42 {{av JC}} Il étudia le droit à Rome, mais finit par y renoncer pour se consacrer à la poésie. Son premier ouvrage lui valut la protection de [[Mécène]], homme politique et protecteur des arts qui prit également sous son aile [[Virgile]] et [[Horace]]). Il était l'ami du jeune [[Ovide]] et admirait Virgile. Mécène l'avait encouragé à écrire de la grande poésie nationale.
* [https://la.wikisource.org/wiki/Elegiae_(Propertius) Sur wikisource]
=== L’élégie au Moyen Âge ===
* [[Aneirin]], [[barde]] [[britonnique]] ([[525]]-[[600]]), auteur probable d’un long poème en [[vieux gallois]] ou en [[Cambrien (langue celtique)|cambrien]] appelé ''[[Y Gododdin]]''.
=== L’élégie à la Renaissance ===
* [[Renaissance (période historique)|Renaissance]]
* [[Joachim Dudu Bellay]] écriraécrit de nombreux poèmes élégiaques, notamment dans ''[[Les Regrets]]''.
=== Postérité ===
Ce genre connu dans l’Antiquité se perpétue à toutes les époques de la poésie française. CommeUn bon exemple de l’élégie romantique, onest peut citer unle poème de [[Marceline Desbordes-Valmore]] ''Les Séparés'' (''Poésies'', 1821), dans lequel cette poétesse, qui a fait du ton élégiaque son mode d’écriture poétique de prédilection, mêle les deux genres d’élégies en associant la souffrance amoureuse due à un abandon à la douleur due à unde deuil, la rupture amoureuse étant ressentie comme une mort de l'autre et surtout une mort à soi-même..
D’autres poètes romantiques ont écritécrivent des élégies sur le deuil, souvent pour lesdes mères après la perte de leurs enfants., Citonsdont Marguerite [[Marguerite Babois|Marguerite-Victoire Babois]] (''Élégies sur la mort de ma fille âgée de cinq ans'') ou celles d’[[Adélaïde-Gillette Dufrénoy|Adélaïde Dufrénoy]] (sur les ruptures amoureuses : ''L’amour, élégie'' ou ''Au Luxembourg''). [[Évariste de Parny]] aépanche aussi épanchéégalement ses sentiments après une rupture sentimentale. [[Alphonse de Lamartine|Lamartine]], [[Alfred de Musset]], [[Victor Hugo]]… même s’ils n’ontne donnent pas donné à leurs poèmes le titre d’Élégie, ont faitfont de même. Les poèmes dédiés par Hugo à sa fille chérie [[Léopoldine Hugo|Léopoldine]] en sont un exemple émouvant.
Au {{s-|XX|e|}}, la poésie d’origine avant-gardiste a retrouvéretrouve le ton élégiaque, quand des poètes (des hommes) ont perdu une femme aimée : [[Pierre Jean Jouve]] avec ''Hélène'' (1936) de ''Matière céleste'' (1937), [[Henri Michaux]] avec ''Nous deux encore'' (1948), [[Jacques Roubaud]] avec ''Quelque chose noir'' (1986), [[Bernard Dufour]] avec ''Le Temps passe quand même'' (1997), [[Jean-Pierre Verheggen]] avec ''Gisella'' (2004), [[André Velter]] avec ses ''Poèmes pour Chantal Mauduit'' : ''Le Septième Sommet'' (1998) et ''L’amour extrême'' (2000). Après ''Tombeau'' ''de Monsieur Aragon'' (1983) et ''Mort de l'Aimé'' (1998), [[Jean Ristat|Jean Rista]]<nowiki/>t a écrit en 2017 ''Éloge funèbre de Monsieur Martinoty'', poème dédié à un ami brutalement disparu et première partie de ''O vous qui dormez dans les étoiles enchaînés''. Entre 1912 et 1922, le poète [[Rainer Maria Rilke]] a écrit en allemand, lors de plusieurs séjours au château de [[Duino-Aurisina|Duino]], près de [[Trieste]], les ''[[Élégies de Duino]] '' qui sont restées célèbres.
CitonsUn enfin unautre exemple d'élégie du {{s-|XX|e}} qui a connu une grande popularité grâce au cinéma : le poème ''[[Funeral Blues]]'' de [[W. H. Auden]], lu par un des personnages du film ''[[Quatre mariagesMariages et un enterrement]]'', lors des funérailles de son ami.
== Voir aussi ==
{{Autres projets|wiktionary = élégie}}
* En [[musique]] :
**''Élégie'', de [[Johann Kaspar Mertz]]
**''Chant élégiaque, Le montagnard exilé'' H15 pour soprano, mezzo-soprano et harpe d'[[Hector Berlioz]]
**''Adieux de [[Arnold von Winkelried|Winkelried]]'', élégie d'[[Henri Kling]]
**''Élégie'' op. 126 {{n°|7}}, de [[Cécile Chaminade]]
** ''[[Élégie (Fauré)|Élégie]]'' op. 24 de [[Gabriel Fauré]]
**[[Vor Arneths Grab, WAB 53|''Vor Arneths Grab'', WAB 53]], [[Deux Totenlieder (Bruckner)|Deux ''Totenlieder'', WAB 47]] d'[[Anton Bruckner]]
** ''Élégie'' op. 3 {{n°|1}}, de [[Sergueï Rachmaninov]]
** ''Élégie'' op. 443 {{n°|1}}, d'de [[Alexandre Glazounov|AleksandreSergueï GlazounovRachmaninov]]
** ''[[Élégie pour cor et piano|Élégie]]'' pourop. cor et piano44, de d'[[FrancisAlexandre Glazounov|Aleksandre PoulencGlazounov]]
** ''Élégies[[Élégie pour cor et piano|Élégie]]'' op.pour 143cor et 160piano, de [[CamilleFrancis Saint-SaënsPoulenc]]
**''Élégies'' pour violon et piano op. 143 et op. 160, de [[Camille Saint-Saëns]]
** ''Hollywood Elegies'' (''Die Hollywood-Elegien'') de [[Hanns Eisler]] (1942-1943)
** ''Élégie'' WWV 93, de [[Richard Wagner]]. Cette œuvre fragmentaire (feuille d'album) en la bémol majeur semble avoir été écrite par Wagner en 1869. Cette page fut longtemps considérée comme une œuvre tardive (cf. les dernières notes qu'il traça à Venise avant sa mort en 1883). Connu sous le nom de ''Thème Porazzi'', il est aussi appelé ''Élégie'' en raison de son caractère profondément mélancolique. Ce thème a été choisi par [[Luchino Visconti]] pour son film ''[[Ludwig ou: leLe Crépuscule des dieux]]'' ([[1972 au cinéma|1972]]).
** ''Is an Elegy'' de [[Youngblood Brass Band]]
**''Élégie'', premier mouvement du Quatuor à Cordes No.4, de [[Pēteris Vasks]], composé en 1999.
** ''Duke Ellington's Sound Of Love'' de [[Charles Mingus]] ▼
** ''Is an Elegy'', du compositeur allemandde [[TheFatRatYoungblood Brass Band]]
▲** ''Duke Ellington's Sound Of Love'' , de [[Charles Mingus]]
**''« Élégie »'' op. 85 n°4 ([[Romances sans paroles (Mendelssohn)|Lieder ohne worte]]'', Andante sostenuto'' en ''ré'' majeur, MWV U 190), [[Felix Mendelssohn|Felix Mendelssohn Bartholdy]] ▼
**''Elegy'', de [[TheFatRat]]
▲**''« Élégie »'' op. 85 {{n° |4 }} ([[Romances sans paroles (Mendelssohn)|Lieder ohne worte]]'', Andante sostenuto'' en ''ré'' majeur, MWV U 190), de [[Felix Mendelssohn|Felix Mendelssohn Bartholdy]]
**''Élégie pour les victimes du tsunami du 11 mars 2011'', de [[Nobuyuki Tsujii]]
**''« Élégie »'', titre d'une chanson du groupe français Intenable, album ''Quatrième mur'' (2017)
* Au [[cinéma]] :
** ''Les élégies'', d'[[Alexandre Sokourov]]
* En [[poésie]] :
** ElégieÉlégie grecque : traductions soussur http://wwwchaerephon.noctese-gallicanaemonsite.frcom/Yves%20Gerhardpages/litterature/poesie-elegiaque/traductions_intro.htm
** ''Poètes élégiaques de la Grèce archaïque, Solon - Tyrtée - Théognis - Xénophane et les autres'', Traduits et présentés par Yves Gerhard, Ed. de l'Aire, Vevey, 2022 {{ISBN|978-2-88956-248-0}}.
** ''[[Les Regrets]]'' de [[Joachim Du Bellay]] (exemple : "J'aime la liberté...", Sonnet XXXIX, 1558)
** ''[[Élégies deet Duino]]sonnets'', de [[RainerLouise Maria RilkeLabé]], évocation d'un amoureux suicidé ?
** ''[[LettreLes de Nouvel AnRegrets]]'', de [[MarinaJoachim Tsvetayevadu Bellay]], à Rainer Maria Rilke, disparu.
**''[[Élégies de Duino]]'', de [[Rainer Maria Rilke]]
**''[[Lettre de Nouvel An]]'', de [[Marina Tsvetaïeva]], à Rainer Maria Rilke, disparue
== Notes et références ==
{{Références}}
{{Portail|littérature|poésie}}
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