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Les Rivaux (trad. Cousin)

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Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome cinquième
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LES RIVAUX,
OU
DE LA PHILOSOPHIE.
Séparateur


SOCRATE.

Étant entré l’autre jour dans l’école de Denys[1] le grammairien, j’y trouvai quelques jeunes gens des mieux faits et des meilleures familles de la ville, avec leurs amans. Il y en avait surtout deux qui disputaient ensemble, mais sur quoi, c’est ce que je n’entendis pas bien ; cependant il me parut que c’était sur Anaxagore [132b] ou Œnopide[2] ; car ils traçaient des cercles, et avec la main ils imitaient certaines conversions des cieux ; leur application était extrême. Curieux de savoir ce que c’était, je m’adressai à un jeune homme auprès de qui j’étais assis ; et par hasard c’était l’amant de l’un de ceux qui disputaient. Je lui demandai donc, en le poussant un peu du coude, de quoi ces deux jeunes gens étaient si fort occupés. Il faut, lui dis-je, que ce soit quelque chose de grand et de beau, pour exciter une application si sérieuse ? Bon ! me répondit-il, quelque chose de grand et de beau ! Ils sont là à bavarder sur les astres, et à débiter quelques niaiseries philosophiques. [132c] Surpris de cette réponse : Comment ! lui dis-je, jeune homme trouves-tu donc qu’il soit ridicule de philosopher ? Pourquoi parler si durement ? Un autre jeune homme, qui était assis près de lui, et qui était son rival, ayant entendu ma demande et sa réponse, me dit : En vérité, Socrate, tu ne trouves pas ton compte à demander à cet homme-là, s’il croit que la philosophie soit une extravagance ; ne sais-tu pas qu’il a passé toute sa vie à remuer ses épaules dans la palestre, à bien se nourrir et à dormir ? Quelle autre réponse peux-tu attendre de lui, sinon qu’il n’y a rien de plus ridicule que la philosophie ? [132d] Celui qui me parlait ainsi avait cultivé son esprit ; et l’autre, qu’il traitait si mal, n’avait cultivé que son corps. Je jugeai donc à propos de laisser là celui que j’avais d’abord interrogé et qui lui-même ne se donnait pas comme très propre à la conversation, et je m’attachai à son rival, qui se piquait d’être plus savant, et tâchai d’en tirer quelque chose. Je vous parlais à tous deux, lui dis-je, et si tu te sens en état de me répondre mieux que lui, je te fais la même question. Réponds-moi, crois-tu que ce soit une belle chose de philosopher ? ou crois-tu le contraire ?

[133a] Les deux jeunes gens qui disputaient ensemble nous ayant entendus, cessèrent de disputer, et se mirent à nous écouter avec un profond silence. Je ne sais pas ce qu’à leur approche les deux rivaux éprouvèrent, mais pour moi, je tressaillis. C’est l’impression que me font toujours la jeunesse et la beauté. L’un des deux amans ne me parut pas moins ému que moi. Cependant il ne laissa pas de me répondre d’un ton avantageux : Socrate, si je pensais [133b] qu’il fût ridicule de philosopher, je ne me croirais pas un homme, et je ne regarde pas comme un homme quiconque peut avoir une telle pensée ; faisant par là allusion à son rival, et haussant la voix pour être entendu de celui qu’il aimait.

C’est donc une belle chose de philosopher, lui dis-je.

Oui, assurément, répondit-il.

Mais, repris-je, te paraît-il possible de décider si une chose est belle ou laide, si on ne la connaît auparavant ?

Non.

[133c] Eh bien ! sais-tu ce que c’est que philosopher ?

Sans doute, me dit-il, je le sais.

Qu’est-ce donc, lui demandai-je ?

Ce n’est autre chose, me répondit-il, que ce que Solon a dit quelque part :

Je vieillis en apprenant toujours[3].

Et il me semble que celui qui veut être philosophe doit ainsi apprendre tous les jours quelque chose, et dans sa jeunesse et dans sa vieillesse, pour savoir en cette vie le plus qu’on peut savoir.

D’abord, cette réponse me parut satisfaisante ; mais, après y avoir un peu pensé, je lui demandai s’il croyait que la philosophie consistât à tout apprendre.

[133d] Sans aucun doute, me répondit-il.

Mais penses-tu, lui dis-je, que la philosophie soit seulement belle, ou crois-tu aussi qu’elle soit utile ?

Très utile aussi, me répondit-il.

Cela te paraît-il particulier à la philosophie, repris-je, ou crois-tu qu’il en soit ainsi des autres arts ? Par exemple, le goût de la gymnastique te paraît-il aussi utile que beau ?

C’est selon, répondit-il en plaisantant ; avec celui-ci, désignant son rival, je ne crains pas de dire que ce goût n’est ni l’un ni l’autre ; mais avec toi, Socrate, [133e] je conviens qu’il est à-la-fois et très beau et très utile.

Et crois-tu, lui dis-je, que le goût de la gymnastique consiste à vouloir s’exercer le plus possible ?

Sans doute, me répondit-il, comme le goût de la sagesse, la philosophie consiste à vouloir savoir le plus possible.

Mais, lui demandai-je, penses-tu que ceux qui s’appliquent à la gymnastique aient d’autre but que de se bien porter ?

Non, me dit-il.

Et par conséquent, lui dis-je, c’est le grand nombre d’exercices qui fait qu’on se porte ?

[134a] Et comment, en effet, serait-il possible, me répondit-il, qu’on se portât bien, avec peu d’exercice ?

Sur cela, je trouvai à propos de pousser un peu mon athlète, pour qu’il vînt à mon secours, avec son expérience en fait de gymnastique ; et lui adressant la parole : Pourquoi gardes-tu le silence, mon cher, quand tu l’entends parler ainsi ? crois-tu que ce soit le grand nombre d’exercices qui fassent du bien à la santé, ou un exercice modéré ?

Pour moi, Socrate, me répondit-il, il me semblait que je pense toujours comme le précepte[4], que les exercices modérés font la [134b] bonne santé. En veux-tu la preuve ? vois ce pauvre homme, avec son application à l’étude, il ne mange plus, il ne dort point, il est tout roide, et comme desséché par la méditation.

À ces paroles, les deux jeunes gens se prirent à rire, et le philosophe rougit. Je lui dis : Eh bien ! ne conviens-tu pas présentement que ce n’est ni le grand ni le petit nombre d’exercices qui font qu’on se porte bien, mais un exercice modéré ? Veux-tu donc combattre contre deux ?

[134c] S’il n’y avait que lui, me dit-il, je lui tiendrais bien tête, et tu sens que je suis en état de lui prouver ce que j’ai avancé, serait-ce une chose encore moins vraisemblable ; car voilà vraiment un redoutable adversaire ! mais avec toi, Socrate, je ne veux pas disputer contre mon sentiment. J’avoue donc que ce n’est pas le grand nombre d’exercices, mais un exercice modéré qui fait la bonne santé.

[134d] N’en est-il pas de même des alimens ? lui dis-je. Il en tomba d’accord ; et sur toutes les autres choses qui regardent le corps, je le forçai de convenir que c’est le juste milieu qui est utile, et point du tout le trop, ni le trop peu ; et il en convint avec moi. Et sur ce qui regarde l’âme, lui dis-je ensuite, est-ce la quantité d’alimens qu’on lui donne qui lui est utile, ou la juste mesure ?

La juste mesure.

Mais, les connaissances, repris-je, ne sont-elles pas les alimens de l’âme ? Il l’avoua.

Et par conséquent, lui dis-je, c’est la mesure, et non la multitude des connaissances qui fait du bien à l’âme ? Il en tomba d’accord.

[134e] A qui pourrions-nous raisonnablement nous adresser, continuai-je, pour bien savoir quelle est la juste mesure d’alimens et d’exercices qui est bonne au corps ? Nous convînmes tous trois que c’était à un médecin ou à un maître de gymnastique. Et sur les semences, pour connaître cette juste mesure, qui consulter ? Nous con vînmes que c’était l’affaire du laboureur. Et sur les sciences, qui consulterons-nous donc pour savoir le milieu qu’il faut garder en les semant ou en les plantant dans l’âme ? [135a] Sur cela, nous nous trouvâmes tous trois fort embarrassés. Puisque nous ne saurions nous tirer de là, leur dis-je en badinant, voulez-vous que nous appelions à notre aide ces deux jeunes garçons ? ou peut-être en aurions-nous honte, comme Homère dit des amans de Pénélope, qui, ne pouvant tendre l’arc, ne voulaient pas qu’aucun autre pût le faire[5] ?

Quand je vis qu’ils désespéraient de trouver ce que nous cherchions, je pris un autre chemin. Je leur dis : Quelles sciences établissons-nous que doit apprendre un philosophe ? car nous sommes convenus qu’il ne doit pas les apprendre toutes, ni même un très grand nombre.

[135b] Le savant, prenant la parole, dit que les belles, les plus convenables à apprendre au philosophe étaient celles qui lui devaient faire le plus d’honneur ; et que rien ne pouvait lui en faire davantage que de paraître entendu dans tous les arts, ou du moins dans la plupart et dans les plus considérés ; qu’ainsi, il fallait qu’un philosophe eût appris tous les arts dignes d’un homme libre, ceux qui dépendent de l’intelligence, et non ceux qui dépendent de la main.

Fort bien, repris-je, c’est comme en architecture. [135c] Tu auras ici un très bon maçon pour cinq ou six mines au plus ; mais un architecte, tu ne l’aurais pas pour dix mille drachmes ; car il y en a très peu dans toute la Grèce. N’est-ce pas là ce que tu veux dire ?

Oui, me répondit-il.

Alors je lui demandai s’il ne lui paraissait pas impossible qu’un homme apprît ainsi deux arts, bien loin qu’il pût en apprendre un grand nombre, et qui fussent difficiles.

Sur quoi : Ne t’imagine pas, Socrate, me dit-il, que je veuille dire qu’il faut qu’un philosophe sache ces arts [135d] aussi parfaitement que ceux qui les pratiquent ; mais comme il convient à un homme libre, à un homme instruit, pour entendre mieux que le commun des hommes ce que disent les maîtres, et pouvoir donner lui-même un avis ; pour qu’enfin sur tout ce qui se dit ou se fait à propos de ces arts, il se distingue par son goût et ses lumières.

Et moi, doutant encore de ce qu’il voulait dire : [135e] Vois, je te prie, lui dis-je, si j’entre bien dans l’idée que tu as du philosophe ; tu veux que le philosophe soit auprès des artistes ce qu’un pentathle[6] est auprès d’un coureur ou d’un lutteur. Vaincu par chaque athlète dans l’exercice qui lui est propre, le pentathle ne tient que le second rang ; tandis qu’il est au-dessus de tous les autres athlètes en général. Voilà peut-être l’effet que, selon toi, la philosophie produit sur ceux qui s’attachent à elle ; [136a] ils sont dans chaque art au-dessous des maîtres, mais ils l’emportent sur tous les autres hommes ; de sorte qu’à le prendre ainsi, un philosophe est en toute chose un homme de second rang. Tel est, je crois, l’idée que tu veux donner du philosophe.

Socrate, me dit-il, tu as admirablement compris ma pensée, en comparant le philosophe avec le pentathle ; le philosophe est véritablement un homme qui ne s’attache à rien servilement, et qui ne travaille à aucune chose, de manière que pour porter l’une à sa perfection, il néglige toutes les autres, [136b] comme font les artistes ; le philosophe s’applique à toutes ensemble avec mesure.

Après cette réponse, comme je souhaitais savoir nettement ce qu’il voulait dire, je lui demandai s’il croyait que les gens habiles fussent utiles ou inutiles. Utiles, assurément, Socrate, me répondit-il.

Et si les habiles sont utiles, les malhabiles sont inutiles ?

Il en tomba d’accord.

Mais les philosophes sont-ils utiles, ou ne le sont-ils pas ?

[136c] Non-seulement utiles, mais les plus utiles des hommes.

Voyons donc si tu dis vrai, repris-je, et comment il se peut faire que soient si utiles des hommes qui ne sont qu’au second rang ; car il est clair que le philosophe est inférieur à chaque artiste en particulier.

Il en convint.

Oh ! voyons un peu, repris-je, dis-moi, si tu étais malade, ou que tu eusses quelque ami qui le fût et dont tu fusses fort en peine, pour rétablir ta santé ou celle de ton ami, appellerais-tu le philosophe, cet habile homme de second ordre, ou ferais-tu venir le médecin ?

[136d] Pour ma part, je les ferais venir tous les deux, me répondit-il.

Ah ! ne me dis pas cela, repris-je, il faut opter : lequel appellerais-tu le plus tôt et de préférence ?

Si tu le prends ainsi, me dit-il, il n’y a personne qui balançât et ne fît venir plus tôt et de préférence le médecin. Et si tu étais dans un vaisseau battu de la tempête, à qui t’abandonnerais-tu, toi et ce que tu as avec toi, au philosophe ou au pilote ?

Au pilote, sans contredit.

Et dans toute occasion, tant qu’on aura l’homme de la chose, le philosophe ne sera pas fort utile ?

Il me le semble, répondit-il.

[136e] Et par conséquent, repris-je, le philosophe est un homme très inutile ; car dans chaque art nous avons des hommes habiles, et nous sommes tombés d’accord qu’il n’y a que les habiles qui soient utiles, et que les autres sont inutiles ?

Il fut forcé d’en convenir.

Oserai-je encore te demander quelque chose, lui dis-je, et n’y aura-t-il point de l’impolitesse à te faire tant de questions ?

Demande-moi tout ce qu’il te plaira, me répondit-il.

Je ne veux que convenir de nouveau de [137a] tout ce que nous avons dit. Il me semble que nous sommes convenus d’un côté, que la philosophie est une belle chose ; qu’il y a des philosophes ; que le philosophe est habile ; que les gens habiles sont utiles, et les malhabiles inutiles : et de l’autre côté, nous sommes également tombés d’accord que les philosophes sont inutiles, tant qu’on a des maîtres dans chaque art ; et que l’on en a toujours. Ne sommes-nous pas convenus de cela ?

Mais oui, me répondit-il.

Nous sommes donc convenus, à ce qu’il paraît, du moins d’après tes principes, que si philosopher c’est s’occuper de tous les arts, comme tu le dis, le philosophe est un être assez malhabile [137b] et fort inutile, tant que les arts seront cultivés parmi les hommes. Mais en vérité, mon cher, prends garde qu’il n’en soit pas ainsi, et que philosopher ne soit point du tout se mêler de tous les arts, et passer sa vie à tout faire et à tout apprendre ; car, pour cela, c’est une honte, à mon avis, et l’on appelle manœuvres ceux qui s’occupent ainsi des arts. Au reste, pour mieux savoir si je dis vrai, réponds-moi encore, je te prie : Qui sont ceux qui savent bien châtier [137c] les chevaux ? Ne sont-ce pas ceux qui les rendent meilleurs ?

Oui.

Et les chiens, de même ?

Oui.

Ainsi, c’est le même art qui les châtie et les rend meilleurs ?

Oui.

Mais cet art qui les châtie et les rend meilleurs, est-ce le même qui discerne les bons d’avec les mauvais, ou en est-ce un autre ?

Non, me dit-il, c’est le même.

Diras-tu la même chose des hommes ? repris-je. [137d] L’art qui les rend meilleurs est-il le même que celui qui les châtie, et qui discerne les méchans et les bons ?

C’est le même.

L’art qui s’applique à un seul, s’applique à plusieurs, et celui qui s’applique à plusieurs, s’applique à un seul ?

Oui.

Et il en est ainsi des chevaux et de tous les animaux ?

Il en convint.

Mais, repris-je, comment appelles-tu la science qui châtie ceux qui troublent les états et violent les lois ? n’est-ce pas la science du juge ?

Oui.

Et cette science, n’est-ce pas la justice ?

Elle-même.

[137e] Ainsi le même art qui châtie les méchans, sert aussi à les faire reconnaître d’avec les bons ?

Assurément.

Et qui en reconnaît un, en pourra reconnaître plusieurs ?

Oui.

Et celui qui n’en pourra pas reconnaître plusieurs, n’en pourra pas même reconnaître un ?

Non.

Un cheval qui ne reconnaîtrait pas les bons et les mauvais chevaux, ne reconnaîtrait pas non plus ce qu’il est lui-même ?

Non.

Et un bœuf qui ne reconnaîtrait pas les bons et les mauvais bœufs, ne reconnaîtrait pas non plus ce qu’il est lui-même ?

Non, certainement.

Et il en est de même du chien ?

Il en tomba d’accord.

[138a] Quoi donc ! ajoutai-je, un homme qui ne distinguerait pas les hommes bons d’avec les méchans, n’ignorerait-il pas s’il est lui-même bon ou méchant, puisque enfin il est homme aussi ?

Cela est vrai, me dit-il.

Ne se pas connaître soi-même, est-ce être sage ou fou ?

C’est être fou.

Et par conséquent, continuai-je, se connaître soi-même, c’est être sage ?

Oui.

Ainsi, à ce qu’il paraît, l’inscription du temple de Delphes est une exhortation à la sagesse et à la justice ?

À ce qu’il paraît.

Mais n’est-ce pas précisément la justice qui enseigne à bien châtier ?

Oui.

[138b] Mais si c’est la justice qui enseigne à bien châtier, n’est-ce pas la sagesse qui nous fait connaître et nous-mêmes et les autres ?

Il paraît, répondit-il.

Ainsi, la justice et la sagesse ne sont que la même chose ?

Cela est évident.

Et ce qui constitue la bonne police d’un état, c’est la punition des méchans ?

Tu dis vrai.

Et c’est là ce qu’on appelle la politique ?

Il en convint.

Quand un homme, dis-je, gouverne bien un état, ne lui donne-t-on pas le nom de roi ?

Sans doute.

L’art par lequel il gouverne est donc l’art royal ?

Oui.

Et cet art n’est-ce pas le même que ceux dont nous venons de parler tout à l’heure ?

Il me semble.

[138c] Quand un particulier gouverne bien sa maison, quel nom lui donne-t-on ? ne l’appelle-t-on pas un bon économe, un bon maître ?

Oui.

Par quel art gouverne-t-il si bien sa maison ? n’est-ce pas l’art de la justice ?

Assurément.

Il me semble donc que roi, politique, économe, maître, juste et sage, ne sont qu’une même chose ; et que la royauté, la politique, l’économie, la sagesse et la justice, ne sont qu’un seul et même art ?

Il paraît bien.

[138d] Quoi donc ! continuai-je, quand un médecin parlera devant un philosophe de maladies, ou quand un artiste parlera de son art, il sera honteux au philosophe de ne pas entendre ce qu’ils diront, et de ne pouvoir dire son avis ; et quand un juge, un roi, ou un de ceux que nous avons nommés, viendra à parler devant lui, il ne sera pas honteux à ce philosophe de ne pouvoir ni les entendre, ni rien dire de lui-même ?

Comment ne serait-il pas honteux, Socrate, d’être réduit à se taire sur de pareilles choses ?

[138e] Mais, repris-je, établirons-nous que sur ces choses le philosophe doit être un pentathle, audessous des maîtres et au second rang, c’est-à-dire toujours inutile, tant qu’il y aura des maîtres ? ou dirons-nous qu’il ne doit pas abandonner la conduite de sa maison à des mains étrangères et se tenir au second rang dans ce genre, mais qu’il doit savoir juger et châtier comme il faut, pour que sa maison aille bien ?

Il en convint avec moi.

Et puis, si ses amis le prennent pour arbitre[7], ou si la patrie l’appelle aux fonctions d’arbitre public ou de juge, ne sera-ce pas [139a] une honte pour lui de ne tenir alors que le second ou le troisième rang, au lieu d’être au premier ?

Il me semble, répondit-il.

Il s’en faut donc de beaucoup, mon cher, que la philosophie consiste à tout apprendre et à s’appliquer à tous les arts.

À ces mots, le savant, confus de ce qu’il avait dit, ne sut que répondre ; et l’ignorant assura que j’avais raison. Tous les autres passèrent aussi de mon côté.

Notes

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  1. Au rapport de Diogène Laerce, liv. III, chap. 5, et d’Olympiodore, Vie de Platon, dans son commentaire sur le Premier Alcibiade, Denys avait été le maître de Platon pour la grammaire.
  2. Œnopide de Chio, géomètre et astronome, contemporain d’Anaxagore. (Diog. Laerce, liv. II, ch. 9. — Diodore de Sicile, liv. X. ch. I. — Proclus, sur Euclide.)
  3. Ce vers de Solon est cité dans le Lachès, et au liv. VII de la République.
  4. Hippocrat. de Morbis popularibus, liv. VI, sect. 6.
  5. Odyssée, liv. XXI, v. 286 et suiv.
  6. Athlète qui s’occupe de cinq sortes d’exercices. (BURETTE, Mém. de l’Acad. des Inscript. vol. IV.)
  7. La loi athénienne reconnaissait deux sortes d’arbitres : les arbitres publics, qui étaient électifs et renouvelés chaque année ; et les arbitres domestiques que les parties choisissaient elles-mêmes. (SAM. PETIT. In leg. Attic, p. 344.)