— Il est impossible de répondre à de pareilles questions… Je refuse de répondre, murmura Stavroguine ; il aurait fort bien pu se lever et sortir, mais il n’en fit rien.
— Moi non plus je ne sais pas pourquoi le mal est laid et pourquoi le bien est beau, continua Chatoff tout tremblant, — mais je sais pourquoi le sentiment de cette différence se perd chez les Stavroguine. Savez-vous pourquoi vous avez fait un mariage si honteux et si lâche ? Justement parce que la honte et la stupidité de cet acte vous paraissent être du génie ! Oh ! vous ne flânez pas au bord de l’abîme, vous vous y jetez hardiment la tête la première !… Il y avait là un audacieux défi au sens commun, c’est ce qui vous a séduit ! Stavroguine épousant une mendiante boiteuse et idiote ! Quand vous avez mordu l’oreille du gouverneur, avez-vous senti une jouissance ? En avez-vous senti ? Petit aristocrate désoeuvré, en avez-vous senti ?
— Vous êtes un psychologue, — répondit Stavroguine de plus en plus pâle, — quoique vous vous soyez mépris en partie sur les causes de mon mariage… Qui, du reste, peut vous avoir donné tous ces renseignements ? ajouta-t-il avec un sourire forcé, — serait- ce Kiriloff ? Mais il ne prenait point part…
— Vous pâlissez ?
— Que voulez-vous donc ? répliqua Nicolas Vsévolodovitch élevant enfin la voix, — depuis une demi-heure je subis votre knout, et vous pourriez au moins me congédier poliment… si en effet vous n’avez aucun motif raisonnable pour en user ainsi avec moi.
— Aucun motif raisonnable ?
— Sans doute. À tout le moins vous deviez m’expliquer enfin votre but. J’attendais toujours que vous le fissiez, mais au lieu de l’explication espérée, je n’ai trouvé chez vous qu’une colère folle. Ouvrez-moi la porte, je vous prie.
Il se leva pour sortir. Chatoff furieux s’élança sur ses pas.
— Baisez la terre, arrosez-la de vos larmes, demandez pardon ! cria-t-il en saisissant le visiteur par l’épaule.