Amdo
L'Amdo (Tibétain: a mdo, chinois: 安多, Pinyin: Ānduō) est l'une des trois « provinces traditionnelles » du Tibet, les autres étant l'Ü-Tsang et le Kham. C'est dans cette province de l'Amdo que sont nés Tenzin Gyatso, l'actuel dalaï-lama[1], et Choekyi Gyaltsen, le 10e Panchen Lama. Elle est située au nord-est de Lhassa et elle recouvre la majeure partie de la province du Qinghai, ainsi que des régions plus petites, mais culturellement importantes, dans les provinces du Gansu et du Sichuan[2].
Les populations, souvent isolées les unes des autres, y parlent des dialectes variés du tibétain.
Histoire
Les premiers habitants connus de cette région sont les Qiangs (羌) antiques[3], qui migrent au cours du premier millénaire av. J.-C. de l'Asie centrale vers le plateau tibétain, en se mélangeant aux populations autochtones[4]. Au IIe siècle av. J.-C., à l'occasion de l’ouverture de la route de la soie, la première administration chinoise est établie par la dynastie Han à la lisière septentrionale du plateau tibétain, autour de la ville actuelle de Xining, du Huang He (Fleuve jaune) jusqu'au lac Kokonor, ainsi que dans le corridor de Gansu[5],[6].
Au IVe siècle, des membres de la tribu nomade proto-mongole des Xianbei s’y installent, et fondent le royaume Tuyuhun, qui couvrira au VIe siècle une région limitée au nord par le couloir de Gansu à s'étendant jusqu'à la limite sud du bassin du Qaidam (ou Tsaidam)[7]. Leurs descendants forment l’ethnie Tu[8],[9]. Au VIIe siècle, sous le règne du roi tibétain Songtsen Gampo (629-650), le Tibet devient une grande puissance, attirée par le commerce de la route de la soie, Songtsen Gampo étend son autorité autour du Kokonor, en Amdo[10]. Le royaume Tuyuhun est complètement annexé par l’empire du Tibet en 663.
Le Tibet est morcelé après la chute de la Dynastie Yarlung en 842. La fragmentation du Tibet permet à la dynastie Tang chinoise de restaurer la route de la soie, et de récupérer une bonne partie de cette région entre 848 et 849[11].
Selon le professeur Ge Jianxiong de l’Université Fudan à Shanghaï, le plateau du Tibet et du Qinghai n’étaient pas administrés par la Chine sous la dynastie Tang (VIIe - Xe siècles)[12], contrairement aux affirmations officielles chinoises.
Au VIIe siècle, les Tangoutes (ou Tangouts) vivent sur le plateau tibétain et, au XIIIe siècle, ils émigrent dans le corridor de Gansu. Ils se soumettent aux Mongols de Gengis Khan entre 1207 et 1209, mais comme ils refusent de lui fournir des troupes, ils sont exterminés sur ses ordres[13].
En 1239, le prince mongol Köden contrôle la région du Kokonor[14],[15]. Selon le site news.eastday.com, du XIVe au XVIIe siècle, toute la région située au nord des monts Kunlun est directement contrôlée par la dynastie Ming chinoise[16],[17]. Selon le site news.eastday.com, au début du XVIe siècle, la souveraineté du Qinghai est détenue pendant 70 ans par une tribu mongole, les Khoshuts[18]. Les Qoshot, sous la direction de Güshi Khan, prennent le pouvoir sur le Tibet[19]. Güshi Khan, qui place le 5e dalaï-lama comme chef temporel du Tibet en 1642, appartient à cette tribu.
Selon Roland Barraux, le règne du 5e dalaï-lama eut pour résultat l'unification du Tibet en une nation. Son pouvoir, indépendant, s'étendait à toutes les anciennes provinces tibétaines, y compris le Kham et l'Amdo[20]. Pour la tibétologue Fernanda Pirie, le gouvernement des dalaï-lamas ne réussit jamais à établir un contrôle politique, militaire ou fiscal sur l'Amdo et la région ne connut pas d'unification politique avec le Tibet central, bien que sa population eût toujours considéré Lhassa comme la source ultime de toute autorité religieuse[21],[22].
Selon Fernanda Pirie, la domination mongole prit fin en 1724 après la victoire de la dynastie Qing sur les Mongols Qoshot. Les Qing firent de Xining, ville au nord de l'Amdo (à présent capitale de la province de Qinghai), le siège administratif de cette zone[23]. Le rôle dévolu à leur amban était toutefois davantage de supervision que d'administration. Il laissait les grands monastères comme Labrang, Repkong, Kurdi et Taktsang Lhamo, conserver leur main-mise sur les populations tibétaines de ces régions. Un certain nombre de dirigeants séculiers conservaient également le pouvoir qu'ils avaient établi sur de grandes entités tribales, parfois même donnant lieu à de petits royaumes[24].
La région nord-est de l'Amdo, où vit une importante population chinoise, encore contrôlée par la Chine après la chute de la dynastie Qing en 1911, à l'époque de la République de Chine[25], est conquise en 1928 par le seigneur de la guerre Ma Bufang[26], qui appartient à la minorité chinoise musulmane Hui.
À la suite d'un voyage entre 1921 et 1924 en Amdo, Alexandra David-Néel affirma que cette région était considérée comme une province tibétaine gouvernée par des chefs locaux, non soumis au gouvernement du dalaï-lama, et qu'elle était vaguement contrôlée par la Chine percevant quelques impôts et n'intervenant que rarement dans les affaires de la population[27].
Selon Melvyn C. Goldstein, le gouvernement tibétain ayant perdu le contrôle de la majeure partie du Kham et de l'Amdo au milieu du XVIIIe siècle au profit des empereurs mandchous, l'historiographie tibétaine en Occident a pris l'habitude de distinguer le « Tibet politique », c'est-à-dire le territoire resté sous la houlette de Lhassa jusqu'en 1950 (l'État du dalaï-lama), des autres régions habitées par des Tibétains. Ainsi, le diplomate et historien britannique Hugh Richardson, à la suite des travaux de Sir Charles Bell, différenciait le « Tibet politique » du « Tibet ethnographique » des anciennes provinces du Kham et de l'Amdo[28].
Dans l'encyclopédie Universalis, les universitaires Guy Mennessier, Thierry Sanjuan et Pierre Trolliet indiquent que le Qinghai est une « province détachée du Tibet »[29].
En 1965, à l'occasion de la création officielle de la région autonome du Tibet de la République populaire de Chine, le rattachement de l'Amdo aux provinces chinoises voisines (au Qinghai pour la plus grande partie, le reste au Gansu et au Sichuan), est confirmé.[réf. nécessaire]
Culture et religion
La sphère culturelle de l'Amdo est une des plus importantes et diversifiées sur le haut plateau du Tibet. Le dialecte de l'Amdo est un des dialectes principaux de la langue tibétaine. Les habitants ne se donnent pas le nom Böpa (bod pa), désignation normale des Tibétains selon le gouvernement de Lhassa, mais Amdowa (a mdo pa). Toutefois, ils se désignent parfois comme Böpa pour se différencier des Chinois[30]. Cependant, les Amdowa ne sont pas reconnus comme une des 56 ethnies de la République populaire de Chine, ils sont donc considérés comme des Tibétains par la Chine.
L'Amdo est la patrie de plusieurs lamas importants du bouddhisme tibétain, qui furent d'une grande influence sur le développement religieux et politiques du Tibet dans son ensemble - comme le grand réformateur Tsongkhapa, le 14e Dalai Lama et le 10e Panchen-Lama.
C'est pourquoi l'Amdo est une région émaillée d'un grand nombre de monastères du bouddhisme tibétain rattachés à l'école des Gelugpa - avec, par exemple, le Monastère de Kirti, le Monastère de Kumbum Jampa Ling (Chin. Ta'er Si 塔爾寺) près de Xining, Qutan Si (de) et Labrang Tashi Khyil au sud de Lanzhou dans le Gansu comptant parmi les plus importants monastères de la sphère tibétaine.
Les ethnies de la région
Agriculture
La nourriture étant à base d'orge, les champs céréaliers cultivés en terrasses abondent dans l'Amdo jusqu'au nord-est du Tibet[réf. nécessaire].
Notes et références
- Il est né dans le village de Taktser, situé entre Xining et le monastère de Labrang : Biographie du XIVe Dalaï Lama, tibetonline.fr
- Note : L'Amdo, est constitué, en plus de la majeure partie de la province du Qinghai, de la préfecture autonome tibétaine de Gannan dans la province de Gansu, de la Préfecture autonome tibétaine de Garzê dans la province de Sichuan et de la Préfecture autonome tibétaine et qiang d'Aba, toujours dans la province de Sichuan.
- Gilles Van Grasdorff, La nouvelle histoire du Tibet, p. 25 l’Amdo (où les Chinois localisent le K’iang (Qiang) et les premiers habitants du Tibet )
- (en) Andreas Gruschke, The Cultural Monuments of Tibet's Outer Provinces: Amdo : voir bibliographie (extrait en ligne)
- (en) Andreas Gruschke, The Cultural Monuments of Tibet's Outer Provinces: Amdo, op. cit.
- « Après avoir créé comme on l'a vu plus haut, entre 121 et 111 av. J-C., les préfectures de Jinquan, Wuwei, Whangye et Dunhuang, on construit les postes fortifiés aux passes de Yumen Guan et Yang Guan en progressant vers l'ouest. » La route de la soie : Dieux Guerriers et Marchands » , Luce Boulnois.
- Voir la carte de l'Asie en 565 de Thomas A. Lessman
- (en) Tuyuhun 吐谷渾
- (en) Tuyuhun (people)
- Laurent Deshayes, Histoire du Tibet, p. 51 : Songtsen Gampo installe alors son autorité autour du Kokonor.
- Laurent Deshayes, Histoire du Tibet, page 75 : La fragmentation politique de l’empire entraîne la perte des oasis du Nord : la révolte qui éclate à Dunhuang permet aux Chinois d’en chasser les Tibétains (848-849).
- (en) Venkatesan Vembu, Tibet wasn't ours, says Chinese scholar DNA (newspaper) (en) : « (...) we cannot include the Qinghai-Tibetan Plateau, which was ruled by Tubo/Tufan. (...) (Tubo/Tufan) was a sovereignty independent of the Tang Dynasty. At least it was not administered by the Tang Dynasty ».
- Une histoire du Tibet : Conversations avec le dalaï lama, de Thomas Laird, Dalaï-Lama, Christophe Mercier, Plon, 2007, (ISBN 2-259-19891-0).
- (en) Alex McKay, The History of Tibet, 2003, p. 320.
- (en) The History of Tibet Alex MacKay 2003, The First Mongol Conquest of Tibet Reinterpreted, Turrell V. Wylie, Harvard Journal of Asiatic Studies, Vol. 37, No. 1 (Jun., 1977), pp. 103-133.
- Carte de la dynastie Ming chinoise en 1415, Université de Harvard, édition 1935 Sur cette carte d'origine occidentale, la partie nord-est de la province actuelle du Qinghai est incluse dans l'empire de Chine.
- Les documents officiels historiques de la province du Qinghai明洪武六年(1371年)改西宁州为卫,下辖6千户所。以后又设“塞外四卫”:安定、阿端、曲先、罕东(地当今海北州刚察西部至柴达木西部,南至格尔木,北达甘肃省祁连山北麓地区)。En 1371, la dynastie Ming transforme le Xining Zhou en Xining Wei, puis installe 4 Weis de plus, connus comme les 4 Weis (défenses) de Saiwai. Ce territoire est délimité au sud par Golmud (Gelimu en Pinyin), au nord par la montagne Qilian, et à l'ouest par le bassin du Qaidam. En 1488, Ming renforce la garnison de Xining, contrôle les tribus mongoles et tibétaines, Xining administre les 4 Weis à partir cette année-là.
- les documents historiques officiels de la province du Qinghai16世纪初,厄鲁特蒙古4部之一的和硕特部移牧青海,一度成为统治青海的民族。Au début du 16e siècle, une tribu mongole, les Khoshuts, est devenue souverain du Qinghai pour un moment.
- Cyril Tikhomiroff, Le Lama et L'Empereur, Département Humanités et Sciences Sociales de l'École polytechnique, p. 43 : « Les Qoshot, établis entre l'actuelle Urumqi et le Kokonor, ont la mainmise sur le Tibet depuis l'opération de Gushri Khan ».
- Roland Barraux, Histoire des Dalaï-lamas, Albin Michel, 1993, (ISBN 2-226-13317-8) p. 142-143 : « Enfin, le Tibet existait en tant que nation; le Dalaï-Lama avait su manœuvrer entre les Mongols et les Chinois, recourir à leurs interventions pour compenser son absence de force militaire, sans compromettre l'originalité et l'indépendance de son pouvoir qui s'étendait non seulement à toutes les anciennes provinces mais encore au Kham et à l'Amdo »
- (en) Fernanda Pirie, Legal complexity of the Tibetan plateau, Journal of Legal Pluralism, 2006, nrs. 53-54, pp. 77-99, p. 80 : « the Dalai Lamas’ government never succeeded in establishing political, military or fiscal control over Amdo and the region was not politically unified with central Tibet. »
- (en) Fernanda Pirie, The hegemony of the Chinese state: sovereignty and order in eastern Tibet, Conference paper prepared for Reinventing the Chinese Party-State, Shenyang, 5th & 6th December 2008 : « Amdo was never incorporated into the political region of the Dalai Lama, despite the fact that most of its population regarded Lhasa as the ultimate source of religious authority. [...] Amdo was dominated by Mongol forces from the mid thirteenth until the early eighteenth century, when the Manchu Qing dynasty rose to power and established Xining, a town to the north of Amdo (now the capital of Qinghai province) as its administrative base for the area. »
- (en) Fernanda Pirie, Legal complexity of the Tibetan plateau, Journal of Legal Pluralism, 2006, nrs. 53-54, pp. 77-99, p. 80 : « After defeating the Qoshot Mongols in 1724, the Manchu Qing dynasty established Xining as the administrative centre of Qinghai, an area which roughly corresponded with what the Tibetans regard as Amdo. »
- (en) Fernanda Pirie, Legal complexity of the Tibetan plateau, Journal of Legal Pluralism, 2006, nrs. 53-54, pp. 77-99, p. 80 : « Their Amban exercised more of a supervisory than an administrative role, however, and even this was resisted by the Golok tribes to the south. The Amban allowed the major monasteries, such as Labrang, Repkong, Kurdi and Taktsang Lhamo, to retain considerable power over the Tibetan populations in their areas. A number of secular leaders also retained the power they had established over large groups of tribes, sometimes amounting to small kingdoms. »
- Heinrich Harrer, 7 ans d'Aventures au Tibet, traduction de Henry Daussy, Arthaud, Paris, 1983, 1996, 1997, p. 118 : « […] le père du Dalaï-lama nous explique que dans son district natal, celui d'Amdo, inclus dans la province chinoise de Tsinghai… » ; p. 272, parle : « le 10e Panchen-lama (né en Amdo ) est originaire d'une province chinoise ».
- (en) "A-mdo". (2006). In Encyclopædia Britannica. Retrieved December 7, 2006, from Encyclopædia Britannica Online
- Alexandra David-Néel, Aux pays des brigands gentilshommes : « Amdo est considéré comme une province du Tibet bien qu'il ne fasse pas partie du territoire soumis au gouvernement du dalaï-lama. Les autorités chinoises y exercent un vague contrôle et y perçoivent quelques impôts, mais elles n'interviennent dans les affaires de la population que dans des cas exceptionnels. En temps ordinaire, celle-ci est gouvernée par des chefs locaux sans liens entre eux. »
- Sur les définitions du Tibet, cf (en) Melvyn C. Goldstein, What is Tibet? – Fact and Fancy, extrait de Change, Conflict and Continuity Among a Community of Nomadic Pastoralists — A Case Study from western Tibet, 1950-1990, in Resistance and Reform in Tibet (sous la direction de Barnett et Akiner), Londres, Hurst & Co., 1994 : « The ‘modern’ Sino-Tibetan border in these two regions was generally established during the mid-18th century when the Tibetan Government lost political control over most of these areas to Manchu (Qing) China. While the Tibetan Government has never accepted the loss of these regions as permanent or de jure – for example it claimed all of Kham and Amdo in the Simla Convention of 1913-14 – most of these areas in fact were not a part of its polity for the two centuries preceding the rise to power of the Communists in China in 1949. Consequently, the convention used in Tibetan historiography in the West has been to differentiate analytically between the political entity Tibet and other areas outside it where ethnic Tibetans lived. For example, Hugh Richardson, the well-known British diplomat and historian, for practical purposes differentiated the Tibetan world into two categories. Following the work of Sir Charles Bell, he used the term ‘political’ Tibet for the polity ruled by the Dalai Lamas, and the term ‘ethnographic’ Tibet for other areas such as Amdo and Kham which were outside that state ».
- Encyclopédie Universalis Chine : cadre naturel
- Notes de lecture sur www.zen-occidental.net. À propos du livre de Katia Buffetrille et de Charles Ramble, Tibétains, 1959-1999, quarante ans de colonisation, Paris, Autrement, collection « Monde », 2003, 224 pages, (ISBN 2-86260-822-X). « Analysant le "nationalisme" tibétain, en fait un fort sentiment d'identité collective, George Dreyfus retrace la genèse de cette identité, de ce sentiment d'appartenance à une communauté plus qu'à un Etat-Nation, qui se traduit parfois par l'étrange paradoxe d'un habitant de l'Amdo ne se considérant comme "Tibétain" (Böpa) que pour se différencier radicalement de l'occupant chinois ».
Voir aussi
Article connexe
Bibliographie
- Andreas Gruschke: The Cultural Monuments of Tibet's Outer Provinces: Amdo, 2 Bände, White Lotus Press, Bangkok 2001 ISBN 974-7534-59-2
- Toni Huber (Hg.): Amdo Tibetans in Transition: Society and Culture in the Post-Mao Era (Brill's Tibetan Studies Library, Proceedings of the Ninth Seminar of the Iats, 2000) ISBN 90-04-12596-5
- Paul Kocot Nietupski: Labrang: A Tibetan Buddhist Monastery at the Crossroads of Four Civilizations ISBN 1-55939-090-5